Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Anegdota
Newsletter
Anegdota
Archives
22 septembre 2005

Je la vois s'en aller, si fatiguée

Ce soir, en rangeant, j'ai retrouvé un de mes colliers. Une croix, en or, que ma grand-mère m'avait offerte. Elle porte la même. Exactement. Elle me l'a offerte pour ma profession de foi, j'avais 12 ans. Et depuis je l'ai gardé précieusement, autour de mon cou parfois, dans un coffret. Elle ne l'a jamais quitté. A 12 ans, je trouvais ça bizarre, ma grand-mère, dont je n'ai jamais été particulièrement proche étant donné qu'on ne la voyait qu'aux "petites vacances" et au mois d'août, qui m'offrait quelque chose de si "sentimental"! De plus, à l'époque elle perdait déjà un peu la tête, elle ne s'était pas remise de la mort de mon grand-père trois ans auparavant. Mais petit à petit, j'ai grandi, et j'ai compris pourquoi, j'ai compris sa vie. Même si je n'en connais qu'une infime partie, c'est ce peu qui nous rattache tant.

Que ce soit pour mes grands-parents, pour mes arrières-grands-parents, ou pour tout autre personne assez agée que j'ai cotoyé, j'ai toujours été celle à qui l'on raconte, alors qu'elle ne pose pas de questions. Jamais je n'ai posé de questions sur la guerre, sur leur vie. Pourtant j'en sais plus que la majorité de ceux qui ont posé ces questions. (c'est d'ailleurs ces réactions qui me rassurent quant à mon avenir). J'ai toujours écouté. Je parle peu, mais j'écoute. Et c'est la même chose pour ma grand-mère. Je ne lui ai jamais beaucoup parlé, mais pourtant...

Elle est arrivée en France jeune. Elle avait 19 ans peut-être. Pour fuir la guerre qui dévastait son pays, et qui quelques années plus tard allait en faire autant en France. Elle n'a jamais beaucoup évoqué ces moments d'avant guerre. Parfois, sur le ton de la conversation la plus banale, elle abordait le sujet. Ce pouvait être à l'occasion d'Halloween, lorsqu'elle racontait que ses frères s'amusaient à lui faire peur quand elle rentrait à la nuit tombée, en mettant sur le chemin une citrouille creusée avec une bougie dedans. Mais ce pouvait être pire. Lorsqu'en me montrant la seule photo de son père qu'elle possède, elle me raconta qu'elle avait passé des jours et des jours enfermée dans une cave, seule, pour survivre. Sans savoir ce qu'était devenu sa mère, ses soeurs. Ou le jour où elle me raconta qu'elle avait vu son père se faire abattre devant ses yeux. Sans une larme, sans une seule fêlure dans sa voix. Comme si cela ne la touchait plus, comme si elle en avait trop vu.

Puis, en France, elle s'est installée comme bonne. A l'époque, ça s'appelait "bonne", sur le certificat de mariage, c'est ce qui est inscrit en profession. Elle a épousé mon grand-père, lui aussi immigré, dont je ne connais pratiquement pas l'histoire puisqu'il est mort alors que j'étais encore jeune. Et ils ont construit leur vie. Et ils l'ont bien construit. Ils ont eu 6 enfants ensemble. Et des graves problèmes de santé ensemble.

Mon père, c'était le petit dernier. Celui que les frères et soeurs chouchouttent (ça n'a pas changé, malgrè sa quarantaine bien sonné et les difficultés qu'il traverse). Etrangement, moi, de l'extérieur, j'ai toujours trouvé ma grand-mère très éloignée de ses enfants. Sauf de mon père. Bien entendu, elle est toujours restée mesurée envers lui. Mais j'ai vite senti que c'était lui. Il faut dire qu'en plus d'être le petit dernier, il a épousée aussi une fille des mêmes origines qu'eux. Alors forcément, le "sentiment communautaire"...

Ce sentiment communautaire dont je parle, mon grand-père n'en voulait pas. Son prénom a été francisé dès son arrivée en France ( je crois qu'il ne l'a pas choisi), mais, plus tard, alors que 5 de ses 6 enfants étaient nés, il a fait franciser nom de famille, et a obtenu la nationalité française. Je n'ai jamais réussi à savoir si ma grand-mère était d'accord ou si elle avait juste accepté. Mais personne ne le sait.

Si ma grand-mère m'a parlé ainsi, c'est je crois, parce qu'on se ressemble. Physiquement, assez peu, je ressemble plus à son père, qui ressemble plus à mon grand-père ( ne parlons même pas de mon frère, son portrait craché!). Mais comme toutes mes aïeulles me l'ont dit:" toi tu as la carrure et le physique d'une vraie polonaise!" Je les crois, c'est plus flatteur que lorsque ma seule grand-mère française me dit que je devrai m'affiner lol. Je crois aussi que c'est parce que je suis mesurée. Je parle peu, je m'exclame peu. Et peut-être aussi que j'attire la confidence, je ne sais pas...

Ce soir, avec cette croix, tout les souvenirs sont remontés. Et cela fait mal. Parce que cet été, c'était probablement la dernière fois que je la voyais. Elle va mourir. Bientôt. Et même si ça la libérera des souffrances qu'elle endure depuis si longtemps, même si de toute façon elle a totalement perdu la tête, et l'ouïe, je ne réussis pas à m'y faire. J'ai si peur de l'absence...

croix_neige_8002Elle n'a plus rien
Plus d'ami de son âge
Ils ont tous fait le voyage
Alors elle perd courage
Elle est si douce
J'aime embrasser sa peau
Mais elle ne trouve plus ses mots
Ses forces lui font défaut
Je la vois s'en aller, si fatiguée

Elle ne rêve plus
Elle ne dort plus tellement
Elle dit qu'elle a fait son temps
Qu'elle peut partir maintenant
Je la vois s'en aller, si fatiguée, Mamy

Mélody, Mamie

Publicité
Commentaires
Anegdota
Publicité
Derniers commentaires
Publicité